« Eh oui, l’audace est payante ! »
Contrairement à Walt Disney, la metteure en scène/scénographe Ingeborg Ruvina ne suit pas littéralement la ballade de Goethe.
Pas de balai déchaîné, pas de seaux d’eau débordants, pas d’inondation spectaculaire. Quelques éléments sortis tout droits de son imagination – marmite, grenouille, crocodile, diables et cortège de spectres – une maîtrise des éclairages qu’elle rehausse de son utilisation inédite des projecteurs, faisant là encore œuvre de précurseur, des mouvements en parfaite symbiose avec la musique de Dukas…
« Eh oui ! L’audace est payante, » conclut le journaliste de La Tribune lors d’une reprise en 1954.
Johann Wolfgang von Goethe compose Der Zauberlehrling en 1827.
Cette ballade inspirée d’un conte philosophique de Lucien de Samosate (120-180) sera mise en musique en 1897 par Paul Dukas et popularisée, dès 1940, par le dessin animé de Walt Disney, Fantasia.
L’ÉLÈVE SORCIER
« Le vieux maître est enfin sorti, et je prétends que ses génies fassent aussi ma volonté. J’ai bien remarqué les signes et les paroles qu’il emploie, et j’aurai bien la hardiesse de faire comme lui des miracles.
« Allons ! Allons ! Vite à l’ouvrage : que l’eau coule dans ce bassin, et qu’on me l’emplisse jusqu’aux bords !
« Approche donc, vieux balai : prends-moi ces haillons ; depuis longtemps, tu es fait au service, et tu te soumettras aisément à devenir mon valet. Tiens-toi debout sur deux jambes, lève la tête, et va vite, va donc ! me chercher de l’eau dans ce vase.
« Allons ! Allons ! Vite à l’ouvrage : que l’eau coule dans ce bassin, et qu’on me l’emplisse jusqu’aux bords ! »
Tiens ! Le voilà qui court au rivage !… Vraiment, il est au bord de l’eau !… Et puis il revient accomplir mon ordre avec la vitesse de l’éclair !… Une seconde fois ! Comme le bassin se remplit ! Comme les vases vont et viennent bien sans répandre !
« Attends donc ! Attends donc ! Ta tâche est accomplie ! » Hélas ! Mon Dieu ! Mon Dieu !… j’ai oublié les paroles magiques !
Ah ! Ce mot, il était à la fin, je crois ; mais quel était-il ? Le voilà qui revient de nouveau !
« Cesseras-tu, vieux balai ?… » Toujours de nouvelle eau qu’il apporte plus vite encore !… Hélas ! Quelle inondation me menace !
Non, je ne puis plus y tenir… Il faut que je l’arrête… Ah ! L’effroi me gagne !… Mais quel geste, quel regard me faut-il employer ?
« Envoyé de l’enfer, veux-tu donc noyer toute la maison ? Ne vois-tu pas que l’eau se répand partout à grands flots ? » Un imbécile de balai qui ne comprend rien ! « Mais, bâton que tu es, demeure donc en repos !
« Tu ne veux pas t’arrêter, à la fin !… Je vais, pour t’apprendre, saisir une hache, et te fendre en deux ! »
Voyez-vous qu’il y revient encore ! « Comme je vais me jeter sur toi, et te faire tenir tranquille !… » Oh ! Oh ! Ce vieux bâton se fend en craquant !… C’est vraiment bien fait : le voici en deux, et, maintenant, je puis espérer qu’il me laissera tranquille.
Mon Dieu ! Mon Dieu ! Les deux morceaux se transforment en valets droits et agiles !… Au secours, puissance divine !
Comme ils courent ! Salle, escaliers, tout est submergé ! Quelle inondation !… Ô mon seigneur et maître, venez donc à mon aide !… Ah ! Le voilà qui vient ! « Maître, sauvez-moi du danger : j’ai osé évoquer vos esprits, et je ne puis plus les retenir.
— Balai ! Balai ! A ton coin ! Et vous, esprits, n’obéissez désormais qu’au maître habile, qui vous fait servir à ses vastes desseins. »
Traduction de Gérard de Nerval, Faust et le Second Faust suivis d’un choix de Poésies allemandes, Paris, Garnier Frères, 1877, p. 327-28.